Un projet titanesque…

Les dimensions de ce barrage situé dans le nord-ouest de l’Éthiopie, à une trentaine de kilomètres du Soudan, sur le Nil Bleu, un affluent du Nil, donnent le vertige : 1 800 mètres de long, 145 mètres de haut, un réservoir de 74 milliards de mètres cubes d’eau qui devrait mettre entre cinq et sept ans à se remplir…

En amont, une vaste plaine cernée de collines contiendra les eaux. Un lac devrait se former sur 246 km de long. Pour construire ce mastodonte, pas moins de 10 millions de mètres cubes de béton vont être nécessaires. Depuis 2011, jour et nuit, 9 000 ouvriers s’activent sur le chantier qui devrait prendre fin en 2017.

Financé en majorité par le gouvernement et peuple éthiopiens, le coût de cet immense barrage est estimé à 4,7 milliards de dollars. Un seul investisseur étranger, la Chine, a fourni 1,8 milliard de dollars pour garantir l’achat des turbines et des systèmes électriques. Aucun autre ne s’est engagé sur le projet, en partie parce que le pays a refusé de réaliser des études d’impact sur l’environnement et surtout à cause de nombreuses contestations.

…et controversé

Le gigantesque barrage a d’abord effrayé ses voisins. Les crises diplomatiques à répétition en ont ralenti la construction. L’Égypte, située en aval du Nil, son fleuve nourricier, craignait de se voir privée de 12 à 25 % de l’eau nécessaire à son agriculture et à ses industries.

Mahmoud Abou Zeid, le ministre des ressources en eau et de l’irrigation d’Égypte jusqu’en 2009, comparait le barrage à un robinet, dont seule l’Éthiopie aurait le contrôle. « Cela leur donne un dangereux pouvoir. » L’Égypte a été jusqu’à mettre en avant son droit à être la seule à utiliser les eaux du Nil… datant de 1929, quand le pays était sous domination britannique !

 

Jour et nuit, 9 000 ouvriers s’activent à la construction de ce mastodonte. (Photo : Reuters)

En mars 2015, quatre ans après le début des travaux, l’impensable se produit : le Soudan, l’Égypte et l’Éthiopie s’accordent sur une déclaration de principe. « L’ouvrage est construit de façon à ne pas pénaliser les pays en aval. Pour eux, le débit du fleuve va se régulariser, ils n’auront plus de périodes de sécheresse, ni d’inondations », rassure Semegnew Bekele, qui supervise la construction du barrage. À un journaliste de Libération venu visiter le chantier en 2014, il confiait prendre chaque soir des photographies de la progression du barrage. « Ce sera le plus grand de toute l’Afrique et il profitera à tout le monde, y compris aux Égyptiens, qui auront de l’électricité à bas prix. Le niveau de vie des Éthiopiens va s’élever de façon spectaculaire, mon pays sera leader ! »

Promesse de prospérité

Le barrage, une fois achevé, devrait avoir une capacité de 6 000 mégawatts, l’équivalent de la puissance de six centrales nucléaires. Fini les coupures de courant intempestives ! Grâce à une myriade d’autres projets hydrauliques, le pays devrait devenir le premier producteur d’électricité de l’Afrique. L’Éthiopie pourra exporter de l’énergie vers ses voisins, le Soudan, Djibouti, mais aussi le Kenya, le Sud-Soudan et le Yémen.

Le barrage devrait être achevé en 2017. (Photo : Reuters)
Son PIB a augmenté de 10 % par an entre 2005 et 2010 et de 7 % depuis, selon le FMI (Fonds monétaire international). La croissance devrait se poursuivre avec des revenus tirés de l’exportation de l’électricité, estimés à 2 millions d’euros par jour, soit 730 millions d’euros par an à partir de 2017. Une manne essentielle pour le pays, dont le déficit commercial s’élève à 9 milliards de dollars, dû à de très nombreuses importations.

Recrudescence du paludisme

L’Afrique subsaharienne s’est fixé comme objectif de rattraper son retard en terme d’infrastructures hydroélectriques. Les projets de barrages, comme en Éthiopie, se multiplient : 2 000 existent déjà, 200 autres sont en cours de construction pour répondre aux besoins énergétiques grandissants des pays. La République Démocratique du Congo a lancé le projet de Grand Inga, sur les rives du fleuve Congo. Il pourrait devenir le plus grand barrage du monde et produire deux fois plus d’électricité que celui des Trois-Gorges, en Chine.

Seulement voilà, une recrudescence de cas de paludisme à proximité de ces installations géantes a été observée. Les larves du moustique porteur de la maladie prolifèrent dans l’eau de ces réservoirs de plus en plus nombreux. La localisation des barrages, la taille des leurs réservoirs ou encore l’introduction de poissons se nourrissant de larves font partie des options existantes pour limiter la prolifération, selon des chercheurs. Ils estiment qu’il est grand temps d’agir.

 

Une recrudescence de cas de paludisme a été observée près de ces barrages gigantesques.
Selon les chercheurs, il est temps d’en tenir compte dans la construction de ces infrastructures.
(Photo : Tiksa Negeri/Reuters)
PAR MARIE MERDRIGNAC